22 février 2012

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La fatigue d'un homme


La France forte? La belle histoire. Personne n’aura usé le moral d’un pays en aussi peu de temps. Des Français fatigués, voilà son bilan. Voilà au fond sa seule force dans cette campagne bien mal engagée sur tous les autres aspects: réussir à nous écœurer, nous user encore un peu plus, nous rendre ainsi complices de ses méfaits et laisser une fois de plus son électorat des bienheureux de la crise se mobiliser pour le reconduire.

Curieuse campagne. Tout doit faire perdre la droite, et pourtant, je regarde autour, par-delà les meetings politiques: faible désir de gauche.

Une campagne différente de la précédente où, entre amis de diverses tendances, nous nous enflammions sur les axes programmatiques. Je ne parle pas des mois qui suivirent l’élection du Sauveur où je découvrais que pelletées de mes camarades, probablement encore plus à gauche que moi (précisons: qui se vendaient "de gauche" depuis des années avec faits d'armes et diplômes certifiés alors que je n'avais globalement sur le spectre politique qu'un verdict de rejet), revendiquaient fièrement leur vote pour l'homme providentiel (de droite). 

"Avec Royal, cela aurait été pire" fut l'argument joker auquel ils se raccrochèrent tant bien que pire le long des trois années de désillusions qui suivirent. Le sujet politique devint tabou à l’orée de l’année 2010 avant de renaître mi-2011 sous un, plus ou moins timide, "bah ouais, je vais voter Marine, hein". 

Comme annoncé face au mur de leurs certitudes cinq ans plus tôt: ils patinent, écrêtent dans leur "job" a une rémunération à peine plus élevée que lorsqu'ils sont entrés la fleur au fusil sur le champ de bataille du salariat à la fin du siècle dernier, cherchent toujours la gratitude du patron, toujours un sens à cette soumission comblant de plus en plus mal le manque chronique de pognon. 

Phase 2. Après le rinçage, l'essorage. La droite leur lance désormais qu’ils manquent de compétitivité face aux impératifs entraînés par l'économie mondialisée et la grosse dette (de leur faute bien sûr), qu’il va falloir recalibrer la ressource humaine branche par branche, que c’est ça ou l'inactivité, ce cancer qui emporte les organismes faibles sous les sifflets de ceux qui grimperont dans la charrette juste après. 

Justement, certains autour sont déjà au chômage, de plus en plus même. Abstentionnistes convaincus du salariat, à deux doigts de la rue ou bien fatalistes: à eux on ne la leur fait plus. Les autres, ceux qui ont encore la chance de souffrir en silence au turbin s'essayent aux arrêts maladie pour cause de traitement de chien.[1] 

Quels autres interstices de respiration leur reste-t-il ? 

L’enrichissement intellectuel? Nan, foutu. TF1 a tout niqué, offrant même en pâture aux broyés dans ses shows putassiers, les reflets déformés de leur propre existence, remplaçant ainsi les dernières onces de solidarité envisageables par du sarcasme inter-classe. 

L'enrichissement spirituel? Pas rentable. Tout ce qui ne rapporte pas plaisir ou argent, n'a plus de sens.

La consommation? Puits sans fond qui ne satisfait déjà que très provisoirement son homme par temps prospère. Par temps d’austérité, c'est la frustration assurée. 

Les vacances? On ira chez ta mère, ça coûte moins cher. Pour le rêve, on y regardera Koh-Lanta

La maison? 20 ans de crédit pour le pavillon énergivore, excentré et payé quatre fois plus cher que celui de tes parents, pourtant six fois plus grand, alors que maintenant, toute honte bue, M6 te dit que la pierre se retourne méchant: ce n’était peut-être pas une bonne affaire.

Parfois, dans une conversation débordant le cadre convenu de la décoration d’intérieure, de la nouvelle appli qui tue sur smarte-faune ou du programme télé, ils l’admettent à demi-mot: leur vote Sarkozy a été une erreur. L’homme est mauvais, il a trahi.

Il faut lire en creux dans cette lamentation teintée de colère, généralement doublée d’un déficit absolu de passion pour le débat politique du moment, l’aveu que le programme UMP 2007 leur parle toujours. Crise ou pas, le paradigme du "toujours plus", du "consommer plus" quitte à "travailler plus" et du réassort permanent des signes extérieurs de la vie moyenne épanouie, telle qu'observée dans les séries télés américaines au biberon duquel ils ont grandi dans les années 80-90, n’est en rien modifié.

La droite a depuis longtemps gagné le combat de l’absence d’idées. Si la gauche passe, elle le devra d'abord à l'homme providentiel de 2007 et aux ravages mathématiques de sa politique sans surprise dont les Français espéraient énormément. 

Ne sera pas chassée la droite du fric roi, de l'ostentation, de l'individualisme effréné et du racisme de classe, dorlotant pour survivre dans les urnes le nid douillet des baby-boomers des rentes glorieuses (amis révolutionnaires, il faudra attendre l’extinction naturelle des dinosaures). Derrière la disparité des trains de vie que cette commode catégorisation cache, si "les classes moyennes" ont un semblant d’unité, je ne la perçois que dans un tropisme transcendant les strates de revenus: appartenir à ce monde du dessus, quitte à haïr ceux d’en-dessous. L'objectif reculant sans cesse à mesure que les rentiers de ce pays accroissent leur confort, ils tournent en rond dans cette amertume, doublée d'un inconfort et d'une incertitude croissante, nommée "déclassement". 

Ne sera pas non plus chassée la droite de la casse du travail, et de la précarisation d’un salariat morcelé, sans identité et sans perspectives, qui brise au quotidien la France invisible des 20h par semaine, des petits-jobs cumulés avec trajets exténuants où, la revendication est mal vue par le bourreau, et tout bonnement impossible pour l'esclave isolé. Ceux-là ne croient plus en la politique, ni à gauche ni à droite ni en personne, tant ils pensent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Ils ne se déplaceront pas pour voter, et les candidats le savent bien.

Sera seulement chassée de l'Elysée, cette incarnation caricaturale de la droite, le plus grand service rendu à la gauche dans le corps d'un petit type agité: un roitelet tragi-comique à l’orgueil hypertrophié à qui les Français auraient tout pardonné s’il avait élargi le spectre de la redistribution  au lieu de se concentrer sur le segment hyperriches, riches, ménages aisés et retraités thunés. Conséquence de la personnalisation de la Ve république, l’homme providentiel devient en un mandat l’homme sur lequel se cristallise (et encore bien mollement) le rejet d'un modèle de société peinant à combler l'humain, mais pas encore identifié en tant que tel.

L'erreur fondamentale du candidat-président est d’avoir trahi le contrat d’abondance.

L’homme parti, les idées seront toujours là. 

Et il faudra plus qu’une élection pour changer les mentalités.


Bien plus.


[1] Restent quelques fanatiques bienheureux vivant et respirant pour la productivité.

16 comments:

Anonyme a dit…

En effet, Hollande sera elu par defaut. Non part grace a ses qualites/propositions mais par rejet de Sarkozy
Ce n est en soit pas etonnant. La plupart des electeurs se rappellent de la duplicite du PS (discours tres a gauche mais une fois au pouvoir, on oublie tout). Et Hollande en a fournit une magistrale confirmation avec cette interview en Angleterre (non pas en disant que le PC n existe plus, mais en confirmant que son discours anti-finance est a usage uniquement electoral)

Sinon contrairement a toi, je pense qu une grande partie des precaire a 20h/semaine vont voter. Mais le pen. En partie comme un bras d honneur a notre classe polique qui ne s occupe pas d eux, en partie parce que c est eux qui vivent dans les banlieues pourries, en contact direct avec la racaille et qui en subissent les desagrements

Goulven Baron a dit…

Comme une synthèse de ce que vous avez écrit depuis 2008 ... une belle cohérence.

un partageux a dit…

Hollande sera-t-il élu ? Je n'en suis même pas certain. Il y a un truc qui me chiffonne depuis des mois : personne ne parle de Hollande dans la rue, au bistrot, au boulot. Et ce silence perdure alors que nous nous rapprochons de l'élection. J'ai l'impression de vivre dans une sorte de flottement irréel où il n'y a pas la moindre élection en vue...

Xoth a dit…

Et toujours une bonne icono, soigneusement choisie... les adeptes apprécieront.

Anonyme a dit…

Bonsoir,
Intéressante analyse, comme très souvent, merci. Je relève en particulier ce "Mais avec Royal, où on en serait ?!" qui me parait toujours aussi incroyable quand je l'entend, et me laisse malheureusement penser que certains sont irrémédiablement atteints... Je ne comprends pas ce qui peut déclencher cette quasi-addiction à NS, qu'on retrouve aussi de façon compulsive dans certaine presse, et chez certaine ministre-porte parole pourtant dotée d'outils intellectuels. Un autre aspect intéressant est lié à une forme d'accélération du temps, qui paradoxalement lui donne une inertie très forte : se souvient-on vraiment de comment c'était, avant ce président? C'est comme s'il s'était "incrusté" dans cette place (je ne dis pas fonction), et je redoute fort que pour de trop nombreuses personnes, cette simple présence l'y rende légitime, qu'ils n'osent pas voter pour que ça change. Comme une réassurance peut-être, un point stable, pour certaines personnes perdue ou déstabilisées par notre monde mutant ? Un conservatisme défensif, lié non pas tant aux idées, mais à la résignation, à la "sécurité" du connu ?
Le manque d'enthousiasme pour l'adversaire PS est patent, il n'habite pas le rôle justement, peut-être pas assez autoritaire (toujours pour cette partie de la population), et de l'autre côté, c'est presque comme si on n'arrivait plus à croire, à force de révoltes dans le mur, que ça puisse changer.
Et pourtant, 5 ans de plus, c'est au delà de ce qu'on peut cauchemarder...

Toutatis a dit…

Ce manque d'enthousisame pour le PS est justifié. Il y a des différences infimes entre le PS et l'UMP, au point que l'expression UMPS a tout son sens. Ne pas oublier que Strauss-Kahn était directeur du FMI et Lamy à l'OMC. Et ce qui s'est passé dans d'autres pays du sud de l'Europe (Papandréou en Grèce, Zapatero en Espagne) vient reforcer cette impression. L'exemple grec par exemple montre jusqu'où il faut descendre pour que la population accepte enfin de se débarasser de ces soit-disant "partis de gouvernement" (c'est pas encore fait mais ça vient).

sivergues a dit…

Les sévices de N Sarkozy aux régles édictées par la libération en 1945 pour permettre à la société à mieux combler l'humain. Ne sont pas les moindres, ça culture de l'éducation par la douleur et le le châtiment est désormais première culture nationale. Cette violence modèlera à jamais nos pensées et nos actes. Après cinq ans, l'étranger nous juge renfrognés, insociables, et la planète entière se plaint de notre sale gueule. Inutile d'expliquer pourquoi ?

Seb Musset a dit…

@anonyme 2 > Notons que l'axe "ce sera pire avec le PS" est de nouveau utilisé aux meetings UMP.

Toutatis a dit…

Travaillant dans la fonction publique depuis pas mal de temps, j'ai toujours vu les ministres de "gauche" et de "droite" se succéder et m'affirmer que mon pouvoir d'achat avait augmenté, alors que les chiffres me disaient exactement le contraire. De ce point de vue ces ministres étaient interchangeables. Alors pourquoi croire l'un plutot que l'autre ?

(pour mémoire les enseignants c'est au moins -25% depuis 1980). Allez voir

http://nicolas.tentillier.free.fr/Salaires/index.html

ce qui se passe dans les universités. Les graphiques ne montrent pas de différences entres les années de "gauche" et les années de "droite".

Le Grouik a dit…

Bonjour,

J'ai aujourd'hui 35 ans et de mémoire ai toujours connu tous ces même têtes de bras cassés aux dents longues qui nous gouvernent.

Cela fait presque 15 ans que je me refuse de mettre un bulletin dans l'urne afin de ne pas entretenir cette mascarade politique.

Et à chaque élection c'est toujours le même discours aliénant, ce concours de "promesses" débiles pour chacun de ces partis établis qui se chammaillent pour avoir une place au chaud.

Il faut les regarder placer leur pion sur l'échiquier national. Il faut sauver son cul, car trouver un taf à 6000 € et avantages dans le privé, avec leurs compétences ? à part se faire nommé par les copains je ne vois pas, ah si cabinet d'avocat pour la plupart, autre métier de beau parleur.

Tout ça pour en venir aux Sarkosy et autre Hollande.

Le 1er a un bilan de fossoyeur et assez fier de le présenter, ce doit être un sadique dans l'âme. Le 2nd pense avoir une stature de présidentiable en ayant perdu 10kg.

Ce que je reproche à la "gauche" :
Une mentalité de branleur et de petits escrocs. Des magouilles et une gestion désastreuse dans toutes les régions.
Ne me dite pas qu'on leur a mis un flingue sur la tempe pour signer des prêts "toxiques".
Des vieux loups de mers qui ont passé l'âge de la retraite et qu'on se tape encore et encore, comme ce Lang qui traine je ne sais combien de casseroles et qu'on veut "placer" dans les Vosges maintenant (toujours la place au chaud). Il est beau le parti qui veux valoriser la jeunesse, mais on est encore "jeune" à 73 ans c'est vrai ou on me prend aussi pour un con ?.
Ils ont beau critiquer la république irréprochable de notre guignol national, on en a un bel exemple au niveau local, voir les Guéréni, Huchon, Désir, Dray. sans parler des "tout le monde savait" pour DSK mais personne ne dit rien,
Plus de 10 ans qu'ils ne sont plus au gouvernement et on a droit à quoi comme programme ? des annonces à la va vite écrites sur un coin de nappe. Vous appelez ça des profesionnels de la politique, j'appelle ça des branleurs et des escrocs.

Ce que je reproche à la "droite" : Des mecs décomplexés qui te crachent à la gueule comme Copé et méprisent le peuple. Sinon un copier-coller des reproches de la gauche en changeant les noms, Woerth, Morano, Hortefeux etc...


Vous attendez des propositions sur l'immobilier ? allez demander à Hollande s'il veut voir les revenus de sa SCI diminuer.

Ils roulent tous pour leurs pommes, la France, les Français pour eux ce ne sont que des gueux à séduire tout les 5 ans, ils jouent du pipo et vous dansez. Ne vous en prenez qu'à vous même, et accrochez vous à votre petit bonheur de prolo payé à crédit, ça rassure mais pas trop longtemps, le sort de la Grèce arrive à grand-pas. ça va faire mal ou pas, tant qu'il y en aura pour se raccrocher à "jusqu'ici tout va bien, y a pire..."

Continuer croire et "voter" pour l'ordre établi, mais arrêter de vous plaindre.

Accepter et fermer là, ou agissez "autrement".

Anonyme a dit…

@Le Grouik
globalement d'accord mais j'aimerais bien voir ce que pourrais donner l’extrême gauche au pouvoir avant de ne plus croire en rien.

lejournaldepersonne a dit…

La France est forte

L'enfant : Mam, tu as vu l'affiche? C'est gros comme une maison
Mère : Qu'est-ce qui est gros comme une maison? Le Président, la mer ou le slogan?
L'enfant : la France Forte... je dirais... qu'il lui manque quelque chose... pour qu'elle soit forte.
Mère : Il lui manque quoi?

http://www.lejournaldepersonne.com/2012/02/la-france-est-forte/

Le Grouik a dit…

@Anonyme

On a déjà vu ce que peuvent donner les 2 camps de joueur de flûte.

L'étiquette, la couleur m'importe peu maintenant.

Le seule chose dont je suis sûr c'est que je n'ai aucun espoir et ne veux donner aucun aval aux racoleurs en place. Je m'y refuse.

Anonyme a dit…

simplement magnifique.

Merci Seb, pour ce petit instant de plaisir à te lire, même si les propos n'en sont pas vraiment un haha

Très bien dit, très bien écrit. Je partage ta rage depuis 5 ans et même plus, car je n'ai jamais oublié le ministre de l'intérieur incompétent moi...

J'ai toujours pensé que Sarkozy serait réélu. Ce désespoir s'estompe en voyant la calamité de sa campagne, mais je sais qu'un seul 20h entre les 2 tours suffit la plupart du temps, à enfariner les esprits faibles de notre Pays et ils sont légions il semble !

cultive ton jardin a dit…

"L’homme parti, les idées seront toujours là."
C'est bien ce que je crains: comme disait mon voisin, sortant ses chevaux du pré d'en dessous: "J'emmène les chevaux, je vous laisse les mouches!"

Anonyme a dit…

Hélas cela semble sans espoirs. Certes l'élection de Mélanchon aurait au moins le mérite de faire couiner les porcs mais il y a fort a parier qu'il plierait très facilement face aux pressions multiples de l'oligarchie. Voir même qu'il trahirait purement et simplement. Mais hélas je ne pense pas qu'il sera élu, j'espère me tromper. Entre une petite fiente naine suceuse libérale qui veut se faire réélire et une truie libérale-fasciste je crains qu'il faille se préparer au pire sous le règne du prochain monarque.


(autrement y'a du pognon à se faire avec la vente de lance-roquette anti-chars soviétiques certifié anti-halal mais ca c'est une autre histoire)

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