11 juillet 2010

Porte Maillot, le ticket de métro est plié

Palpitant récit de voyage incluant des éléments de dénonce et une pointe de misanthropie parce que c'est la vie. Pour toi le parisien ignoré des médias qui, par tact et parce que tu crames déjà l’intégralité de ton indigente paye en loyer, a choisi de prendre tes quartiers d’été dans ta salle de bain, enfin ta pièce d’eau, enfin ton évier.


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à bord... le métro.


Pierrick n’est pas un bon vivant du métro de Paris.

En station : Des couloirs bas de plafond avec virages en épingle sur 16 niveaux avec échangeurs aux fétides bourrasques tièdes. Parfois il s’y aventure sans casque intégral, esquivant, entre les agressions publicitaires pour le crédit à 400 calories, le régime à 17% ou le string pour homme bio mais discount kelbutt (mais pas pour la clope c'est mal), les flux épars et ininterrompus des lugubres d'organigramme, hiérarchiquement modifiés. Pressés d'en finir avec l'endroit, ils filent droit tout à leurs pieds, bouffant du Nugget, scotchés à leur Heil-phone pour y déballer du PQ virtuel, youpi youpi c’est cool la 4G, ou mieux, les trois à la fois avec en sus le SMS à chouchounnet.

Dans le wagon : C'est pas l'euphorie non plus. Également pensé pour une population de moins d'un 1m 80, on s'y entasse à 250 dans des bétaillères conçues pour 12.

Pierrick y geint à l'unisson des silences, au gré des brusques coups de freins avant les arrêts en station (au choix : interminables ou éclairs). A l’heure matinale de l’embauche des cadres gris allant s’empiler dans leurs tours de marbre ou, en soirée, le pif dans les aisselles salariées : il feint le zen et la transparence comme ces congénères aux yeux de flétan novocainé.

Mines enfouies dans leurs gratuits d’info uniforme
, tous prient pour ne pas lâcher la barre centrale et aller s'emplafonner un clone sur strapontin. Ça la foutrait mal : Faudrait se fendre d’un « excusez-moi » pouffé sous les soupirs de mépris de ses pairs matés qui, eux, savent se tenir en société.

Que dire de l’ambiance audio ? Rien que l’on ne puisse entendre. Les sifflements nasillards et entremêlés des Ore ane Bé gerbés des baladeurs, les rires de touristes sur des blagues en brésilien peinent à poindre au-dessus des crissements métalliques vrille-tympans, sur saccades accélération-freinage, des rames harassantes.

Pour varier les supplices, matin et soir dans une rame sur deux, s’incruste une bourrée ouzbèque ou un folklore roumain directement trompétés dans le crâne du ballot prisonnier. Et alors que ce serait à lui d’exiger un remboursement pour la torture à alibi culturel : le troubadour maitrisant le solfège comme Pierrick la polka insiste pour sa pièce !

Mais, dans le métro, ce que Pierrick redouble plus que tout c’est le pittoresque, l’impromptu, la beauté du geste : le " - hey, fils de pute ! T'as pas un euro ?", la glissade sur boules de glace ou le type qui fait caca sur ses converse. Ça et la propulsion de voyageurs sur les rails par du désaxé au moment où la rame rentre en quai [1] : c'est le hype de la déconne underground !

Le bref aperçu de la peine que lui inspire le voyage souterrain ne serait rien sans le nec plus parigot en matière de débilité des profondeurs : Les passagers qui montent dans un wagon plein sans laisser descendre ceux qui veulent en sortir, avec ce petit plus aux jour d’étuve :

MONSIEUR CONNARD"- Oh mais vraiment alors ! vous ne pouvez pas nous laisser monter à la fin !"

Pierrick se connaît. S’il prenait plus souvent la maudite mécanique, cela finirait tôt ou tard à la Michael Douglas dans Falldown. A moins que comme les autres, il réussisse à atteindre l’ultime sagesse de l'urbain endurci qui, patafixé à la soumission, n’en a plus rien à foutre de rien.

La promiscuité rend les gens mauvais et aucune victime, aussi bonne simulatrice soit-elle, n'échappe en ces lieux d'intimité forcée à la bassesse des idées concernant son prochain. Le métro est un monde concentré, de la boule de haine refoulée qui, lorsque les regards de charbon ne suffisent plus, laisse gicler son pus. Ne croyez pas ceux qui vantent ses bienfaits : ils voyagent en taxi.

Par-delà le réseau rance, lors de ses décentes de plus en plus espacées ne nécessitant ni passe ni nave ni go, Pierrick constate une radicalisation du management couplée à une hypocrite communication autour de ce qu’il appelle « la discrète mais déterminée disparition du ticket de métro par auto-persuasion du client pressé».

(souvenirs de jeunesse)
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L'agonie du billet

Antique semble cette époque où l'on pouvait garder son ticket de métro dans la poche de son short, faire le tour du monde à la nage par les océans et l’utiliser cinq ans après, passer le portique comme au premier jour pour s’offrir un princier Pont de Sèvres - Mairie de Montreuil.

Age barbare où Pierrick se levait du canapé pour passer de la première à la deux sur sa télé à tube où pourtant son ticket de métro résistait à tout, indestructible qu'il était. Quand bien même il fatiguait (après un petit passage à la machine à laver ou par suite de roulage en paille à sniffer), on pouvait encore l’échanger contre un modèle neuf auprès d’une guichetière dévouée.

C’est venu insidieusement. Depuis quelques mois, les tickets en papier de Pierrick, achetés par carnet ou à l’unité, le bloquent aux portiques. Dans le même temps, sous la capitale les guichets humains ont fermé boutique, remplacés par du DAB robotisé où le stressé peut aussi recharger son pass' à puce.

Pierrick a d'abord imaginé que s’ourdissait une opération « rendons tous le monde coupable en faisant du flag » avec recrudescence de contrôleurs, payés au chiffre, planqués derrière les portiques coincés et enjambés par le voyageur excédé d'avoir un billet tricard qu'il ne peut modifier pour cause d'absence de guichet.

Il y a deux mois de cela, alors qu’il embarquait pour une odyssée dans le 14e arrondissement avec sa crème solaire et son Lonely Planet spécial « les bons plans pour marcher dans Paris en évitant les bites en fer, les scooters, les échafaudages, les kiosques, les kat-kat de seniorettes à clopes et GPS, les sanisettes, les taxeurs de thune, de clopes et les terrasses de troquets new-age dégueulant leurs bobos jusque dans les couloirs de bus remontés en sens interdit par des velib pilotés par des non-voyants sourdingues. », Pierrick quémanda en toute simplicité à l'unique guichet de la Porte Maillot un carnet de 10 tickets.

L’agent d’information (c’était la nouvelle définition du guichetier) lui annonçait alors :

L'AGENT D'INFORMATION
"- Un ticket de métro ? On ne vend plus de ça ici."

Il lui pointa du doigt un DAB limitrophe et consentit même à sortir de son office pour lui indiquer le fonctionnement du robot à débiter du coupon. Visiblement, l'agent avait reçu une formation sur le sujet.

"- C’est donc ça la modernité." Pensa Pierrick.

Diantre qu’il était loin le temps du poinçonneur et des contremarques, des vérifications et des oblitérations manuelles avec un agent à chaque rame.

«- Paris a perdu de sa superbe» Philosopha t-il, s'apercevant un peu tard qu'il stationnait les deux pieds dans une flaque de pisse commençant à lui imbiber les chaussettes.

Les semaines suivantes, à chacun de ses voyages en ubuesque Dédalie, ses tickets papier achetés à l’unité ne fonctionnèrent jamais, ou presque, aux portiques.

(souvenir d'adolescence)

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L'arnaque à l'aimant.

La semaine passée, au hasard d’une petite station encore épargnée par la refonte des services et non saturée de touristes égarés, Pierrick changeait encore ses tickets au guichet. On lui répondit, cette fois agacé, que la procédure interdisait désormais d’en changer plus de deux à la fois, que tout cela c’était la faute à « la démagnétisation » des billets à cause des clefs, des CB, des téléphones et des baladeurs, bref toutes ces maléfiques artifices qui n’existaient pas avant les années 2000, ère obscure où le ticket papier ne plantait jamais.

Se montrant un peu trop insistant sur la nature des démagnétisations à base de " - Si les tickets déconnent à cause d'Apple, c'est Windows qui a planté la mise à jour pour les rames à la bourre ? " Pierrick se vit délivrer le petit fascicule à schémas, édité par la régie pour les neuneus et les chieurs dans son gabarit :

« Votre billet est démagnétisé ? Que faire ? »

Il y est inscrit que "La RATP étudie actuellement avec ses fournisseurs la possibilité de renforcer la résistance des pistes magnétiques contre les aimants." [2]

Le fascicule ne répond aucunement à la question mais offre ce double avantage marketing 1 / de donner une excuse "naturelle" aux redondantes anomalies : la démagnétisation. 2 / d'en faire reporter la faute ni aux usagers ni à la RATP mais à ce monde cruel, trop perfectionné pour le papier.
Ces mensonges à aimant commençaient à le faire tiquer.

Et voilà notre homme, il y a quelques jours de cela, contraint par la météo de s'engouffrer dans le métro. Ritournelle désormais classique : il est bloqué au portique avec son billet bugué.

Vite, trouver un guichet ouvert et échanger contre de nouveaux billets.

Alors que derrière lui ça file à toute berzingue au navigo, la procédure manuelle de l’échange de billet tourne à l’analyse moléculaire d’une scène de crime dans les experts, avec consultation de code, force soupirs et écriture au stylo sur la pièce incriminée avant que Pierrick ne soit invité à passer hors portique avec son nouveau coupon, ce qui en dit long sur la confiance de l'agent dans l’opération.

Une heure après, de retour dans le métro, confiant dans la robustesse de ses tickets fraîchement permutés, Pierrick bute à nouveau au portique avec son billet âgé d'une heure.

Soupirs et exaspération en tunnel.


(les gens sont méchants)

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Le ticket de métro est plié.

Telle la rigueur inavouable, Pierrick lit entre les lignes : la régie des transports parisiens programme la fin du billet physique mais tourne autour du pot, tablant sur l’écœurement des derniers résistants du ticket en papier pour convaincre le populo d'acheter son pass automatisé avec abonnement.

Cela permettra à la régie d'augmenter ses tarifs (ah bah oui, vous êtes contre la modernité vous ?), de supprimer des effectifs (notons qu’ici les victimes collaborent activement au processus. On a connu le personnel de la régie plus virulent dans la défense de ses intérêts), d'éviter les engueulades physiques (vu la dégradation du trafic, c'est plus prudent) mais aussi de ficher individus et déplacements.

Pour ceux persuadés que l'automatisation généralisée fluidifiera le trafic, souvenez-vous qu'il y a un secteur qui ne coûtera jamais rien à l'entreprise et sur lequel elle pourra toujours marger, c'est votre patience.

Passes ou papier, les files d'attente comme les rames bondées ont un bel avenir.

Pour le reste, il suffit de vous inciter par petites tapes à suivre les rails de la consommation correcte.

Pierrick a raison : le métro c'est le monde en concentré.




Illustration : Marc Hernandez

[1] Y a t-il plus con comme mort que mourir dans le métro en allant au boulot ? Oui. Mourir dans le métro en rentrant dans sa journée de merde au boulot... le nez dans Direct soir.
[2] Mais manque de bol à force d'expériences scientifiques, la régie les démagnétise de plus en plus vite.

8 comments:

Anonyme a dit…

N'ayant ni mallette, ni uzi ou assimilé et ni bazooka, je crains que Pierrick n'a plus qu'un seul choix, celui de déménager.

Sinon, ce texte me fait penser à cette version malheureusement en anglais d'air cra-cra : http://www.gdargaud.net/Humor/Reiser/Vacances-61-en.jpg

Nicolas Jégou a dit…

Bon. Je vais troller. Y'a pas de raison.

1. Ayant perdu ma carte Navigo (c'était un soir de cuite, depuis je l'ai retrouvée sous mon bureau), j'ai fonctionné pendant 5 semaines avec des bons vieux tickets : pas un seul incident à déplorer. Je n'ai pas fait la queue une seule fois.

2. Le remplacement des tickets par des machins navigos est évidemment pour gagner du pognon (moins de personnel au guichet mais aussi coûts de fonctionnement moindre) (je t'avais prévenu, je trolle vraiment) (il faut dire que je connais un peu le sujet du Navigo à cause de mon job). En tant qu'usager, je ne vais pas me plaindre (à condition que le pognon économisé aille à l'entretien, ce qui n'est probablement pas le cas).

3. D'une manière générale, je ne vois pas en quoi on pourrait considérer le remplacement d'un coupon orange par un truc conforme à la norme iso 14443 (c'est marrant, ça fait deux fois que j'en parle en une semaine), c'est à dire sans contact est une régression. Le progrès, quoi...

4. Compte tenu des offres à la semaine pour les touristes et de la progression de Navigo, les tickets en carton deviennent marginaux et représentent alors un coût très élevé par rapport aux autres trucs.

5. La RATP multiplie les points de vente (on a même un distributeur à la cantine) : il faut vraiment être tordu pour faire la queue alors que tous les tabacs vendent des tickets.

Seb Musset a dit…

@Nicolas > Que veux-tu... En plus d'être stupide au point de vouloir acheter un ticket de métro dans le métro, Pierrick doit être radioactif.

Sur les avantages du Navigo, je te crois. Le mystère ici, c'est pourquoi ne pas avouer que le ticket est terminé au lieu d'esquiver ?

Sinon dans les bus, ça ne déconne jamais.

Unknown a dit…

Cela fait cinq ans que je n'utilise que des tickets et je n'ai jamais eu de problème avec. Ceci dit, je les range dans une petite pochette en plastique, loin de mes clés, et je ne possède pas de gadget électromagnétique du genre téléphone mobile.

Cette disparition programmée du ticket de métro m'inquiète. Je suis membre de cette sous-caste de parisiens qui ne travaille pas et ne prend les transports en communs qu'irrégulièrement, donc qui n'a ni intérêt ni les moyens de prendre un abonnement. Navigo, pourquoi pas, mais seulement quand on pourra les charger avec l'équivalent des carnets de 10 à consommer quand on veut. Et en version « anonymisée », bien entendu.

Seb Musset a dit…

@llinx > C'est toute l'histoire. Finalement c'est du détail mais ça en dit long : Fichage, délocalisation de la vente, abonnement... Pour au final un prix en hausse et une confort client pas forcément amélioré (comme en témoigne la 1ere partie de l'article)

@edelihan > ...il reste également la marche à pied - Paris est une capitale de poche et c'est encore en marchant qu'on l'apprécie le mieux - le bus, le vélo (si t'aimes le danger) et le taxi.

Leopard Blanc a dit…

Je voulais juste dire que c'est pas "Falldown" mais "Falling Down" le film avec Michael Douglas.

Sinon, moi j'habite a l'etranger et chaque fois (pas souvent) que je viens voir s'il y a toujours autant de flics a Paris, mes billets sont toujours demagnetises. Ca presente l'avantage de pouvoir taper un brin de causette avec la jolie employee qui m'echange mes tickets (bon parfois il faut faire qq stations avant d'en trouver une satisfaisante).

Anonyme a dit…

A rennes ( si si chez les ploucs, à gauche ) pas vraiment ces problèmes ( enfin il me semble). Le métro n'existait pas avant 2004 ( environ) et un système de tickets ou de carte ( korrigo, ouais ça fait korrigan ha ha ha...) font en sorte que ça roule à peu près...( le ticket dure une heure Bus + métro ) et la carte tant qu'il y a des ronds dessus, le reste...
En tout cas bravo pour cette évocation haute en couleur ( ou plutôt grisaille en profondeur) du métro parisien.

Unknown a dit…

Salut Seb,

Joli billet.
Mais quelques imprécisions :

- l'augmentation du nombre de pass Navigo ne permettra pas à la Régie d'augmenter ses tarifs. En effet, les tarifs sont définis par le STIF (syndicat des transports d'Ile de France / JP Huchon). En aucun cas, par le transporteur...

- Supprimer des effectifs? Non plus. 45 000 salariés et les embauches sont nombreuses pour compenser la pyramide des âges. Évidemment, sur certains métiers, la mobilité professionnelle et la volonté d'évoluer sont encouragés...

- Éviter les engueulades physiques: c'est malheureusement une réalité. Il y a autant de conflits voyageurs / agents que voyageurs / voyageurs....

- Enfin, ficher les individus c'est un grand mythe : il est tout spécialement impossible de ficher les individus via le pass Navigo. Il y a deux cryptogrammes non liés qui sont explosés en arrivant sur le serveur dédié. De fait, seul les numéros remontent, jamais les noms. En revanche, le pass Navigo est évidemment un outil statistique précieux pour les autorités organisatrices du transport pour quantifier les besoins et les mettre en oeuvre.

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