15 mars 2010

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La fille du 15 mars

15 mars 2010. 21h00.

L'hôtel oui mais pour combien de temps ? Deux, trois nuits max.

C'est pas avec du temps partiel que l'on s'assure un après. L'avenir tu le conjugues au présent et à l'interrogatif : Où trouver un appartement ?

Un semestre que tu cherches. En plus de la caution (divisée par deux depuis peu) et des frais d'agence (multipliés par deux dans le même temps) les filles de la succursale immobilière te crachent avec ce sourire forcé que toi-même tu joues et rejoues à la caisse de la boutique de prêt-à-porter : "- On préfère des gens qui gagnent trois fois le loyer."

Parce que tu n'es pas du genre à te laisser aller, que ta gaîté est légendaire, tu réponds :
" - Baissez vos tarifs et on pourra payer !"

Les jeunettes de l'agence te rétorquent sèches et vexées :
" - On y est pour rien. On ne fait qu'exécuter la demande des propriétaires. "

Aux aurores ton proprio, triple de ton âge et quintuple de tes revenus, t'évacuais à la rude. Fin de la trêve hivernale ont dit les policiers. C'est la crise. Quatre mois sans régler : Comment veux-tu que ton bailleur baisé rembourse au banquier son investissement locatif vérolé ?

A noël, il t'apportait des bonbons et tentait de négocier un paiement en nature. Tu refusais.

Tu as juste eu le temps de prendre quelques vêtements dans ta valise et de partir tafer.

Cette nuit : hôtel éphémère à trois jours de salaire.

A 26 ans, il va falloir que tu retournes chez papa et maman, à 600 kilomètres de là. En espérant qu'ils veulent bien de toi et que la place ne soit pas prise par un autre locataire qui, lui, peut payer.

Petite, ils te répétaient : "- Étudie et travaille pour te garantir un toit." Une génération plus tard, avec ton bac+5 et ton chapelet d'emplois sparadraps, tu vas devoir démissionner de cette boutique devant laquelle tu passes avec ta valise. Tes gages ne suffisent plus à te qualifier aux éliminatoires de ce logement qui devrait t'être du.

Tu traînes ta valise en centre-ville et regarde les façades dans la nuit.

Dis-moi : Combien vois-tu d'appartements habités ?


* * *

Ce texte répond à un jeu littéraire lancé par Madame Kevin pour le blog à mille mains, basé sur une photo de Robert Lubanski et auquel je fus convié par Cycee. A mon tour d'inviter CSP, Monsieur Poireau, Perséphone (et Benoist Apparu s'il a un commentaire ou une proposition, autre que de façade, sur le sujet). Date limite le 30 mars.

D'autres textes de la série : Mrs Clooney, Juan de Sarkofrance et Le coucou de claviers

8 comments:

Unknown a dit…

la civilisation ne tient qu'a peu de choses a force de mordre de la vache enragée on finira par faire couler ce bateau qui fuit de tous bords
Merci Seb pour vos articles.

Le coucou a dit…

Excellent, ton texte! Et j'aime en particulier la manière dont tu t'es affranchi du thème du "départ" que nous sommes plusieurs à avoir adopté. Là, on est dans la vie, bravo.

detoutderien a dit…

trés beau texte, merci !

(t'es fort en histoires mettant en scène des femmes)

Anonyme a dit…

La fiction aussi peut nous parler de toutes ces trajectoires sociales non linéaires, de la violence économique et symbolique. Merci pour cette participation dont j’apprécie à la fois la qualité littéraire et la dimension sociologique. J'ai mis votre texte en ligne sur Le blog à mille mains.

Gildan a dit…

Excellente cette chaine, parfait ton texte !! Bravo ! J'ose mettre un lien :
Lundi 15 mars , le ciel sera noir, pour beaucoup d etres humains de ce pays, des femmes avec enfants, des handicapés, des jeunes, moins jeunes...
Par chantalrebelle, Le Post.
Allez ! Je continue ma tournée de chaine...

NY Palace a dit…

Peu nombreux sur le net sont les auteurs qui se préoccupent d'un sujet comme le logement, j'aime bien se blog car il en parle.
Au contact de la population je suis effaré de voir les difficultés que les gens rencontrent et l'omerta politique sur ce sujet.

Je pense qu'avec un salaire d'environ 1500€ net on devrait pouvoir prétendre à autre chose qu'un pauvre studio de 30m2 dans une ville de province, mais je devrais sûrement m'estimer heureux de pouvoir me loger...

Certains personnels d'agence immo sont ignobles avec les demandeurs, exigeant des garanties exubérantes, les humiliant, pour enfin les envoyer bouler.

Il y a un grave problème dans ce pays, un putain de grave problème de disponibilité et surtout d'adéquation entre les revenus et les loyers et pas seulement en Ile de France.

La classe politique ne semble pas prendre la mesure de la situation, elle se prépare un réveil douloureux.

Anonyme a dit…

@Seb :

"En espérant qu'ils veulent bien de toi"

C'est pas plutôt : "Qu'ils veuillent bien de toi" (subjonctif présent) ?

la femme de George a dit…

je n'avais pas lu ton texte, j'aime beaucoup j'y retrouve ce que tu es

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